Le soleil ne lève pas et ne se lèvera pas, pas plus à Noël que tous les autres jours de l’année. Cette phrase, des plus anodines, composée de quatre mots simples « Le soleil se lève », est apprise dès la plus tendre enfance. Quelques années plus tard, les enfants apprennent à l’école le fonctionnement du système solaire. Il se présente alors une forme d’oxymore entre le sens de l’expression « Le soleil se lève » et la réalité astronomique apprise à l’école. Cependant cela ne semble pas poser de problème dans l’esprit des personnes. Pourtant cela le devrait.
Une nouvelle théorie ignorée
Au XXIe siècle, dire que « le soleil se lève » c’est faire fi de la révolution copernicienne avec les travaux de Nicolas Copernic (1473-1573), astronome polonais, lorsqu’en 1514 il énonce une autre façon de concevoir le mouvement des planètes. Copernic est considéré comme le père de l’héliocentrisme. Sa théorie pose le principe du système solaire avec le Soleil en son centre. La Terre et « l’homme » ne sont plus le centre du monde, comme cela l’était auparavant. La Terre tourne autour du soleil comme les autres planètes du système solaire. En 1543, il publie ses travaux, juste avant de mourir, dans un ouvrage intitulé De revolutionibus orbium coelestium, « Des révolutions des sphères célestes ». Cependant ses travaux vont rester dans une apparente indifférence durant pratiquement cinquante ans. Ils sont essentiellement validés, en 1609 par Johannes Kepler (1571-1630) astronome allemand, qui édicte dans son ouvrage Astronomia nova sa première loi fondamentale selon laquelle l’orbite d’une planète du système solaire forme une ellipse autour du soleil. La même année Galilée (1564-1642), mathématicien, géomètre, physicien et astronome italien prouve l’héliocentrisme à l’aide de son télescope, puis en 1610, lorsqu’il publie Siderus Nuncius, « Le messager des étoiles » Galilée montre qu’il est un fervent défenseur de l’héliocentrisme et des mouvements planétaires, tel que pensé par Copernic. À la fin de son procès après avoir abjuré sa théorie pour éviter la peine de mort, en étant brûlé vif sur le bûcher, il lui est prêté la célèbre phrase E pur si muove, « Et pourtant elle tourne (bouge) » qu’il n’aurait jamais prononcé, mais tellement belle.
Bloqué dans le passé
D’un point de vue philosophique et scientifique, dire que « le soleil se lève » et qu’il « se couche » c’est quand même un peu rester bloqué sur la pensée grecque qui a dominé le monde occidental durant plus de 2000 ans. Cette pensée s’est imposée sous l’influence de deux grands penseurs de la Grèce antique que son Platon (427-347 av. J.-C.), mathématicien et philosophe et de son disciple Aristote (384-322 av. J.-C.), mais aussi du mathématicien, astronome, Claude Ptolémée (vers 100-vers 168), pour qui la Terre ne tourne pas. Durant ce Ier siècle, il publie un ouvrage intitulé Almageste, « La très grande », dans lequel il développe le concept d’un univers géocentrique, qui sera la référence en France jusqu’au XVIIe siècle, fin de la Renaissance. Ce modèle a également été en place dans toute l’Europe et le monde Arabe pratiquement durant la même période. Il s’effondre insensiblement, malgré les nombreuses réticences, essentiellement religieuses, avec les travaux de Copernic, Kepler et Galilée.
Une étrange indifférence
En 2021, la représentation du monde avec un soleil qui se lève et se couche n’est pas sans conséquence sur la façon de vivre les choses. Elle est à l’image du mode de pensée dans lequel l’être humain baigne bien souvent en toute indifférence, sans trop se soucier du réel contenu des mots et expression qu’il utilise. Une facilité intellectuelle qui appauvrit et dénature la réalité des choses.
Pour que le Soleil se lève et se couche, il doit tourner autour de la Terre. C’est-à-dire que c’est lui qui est en mouvement, et la Terre immobile au centre, comme dans le modèle géocentrique.
Pour essayer de compenser ce qui est dit en contradiction de la réalité astronomique, il est souvent utilisé la locution « la course apparente du soleil ». Cela ne change en rien la déformation de la réalité. Le soleil n’accomplit pas de course, il est immobile par rapport à la Terre. Que le soleil apparaisse à l’horizon Est ou disparaisse à l’horizon Ouest, en passant par le midi solaire, le soleil n’a pas changé de place dans le ciel. Il n’a effectué aucun déplacement, aucune course par rapport à la Terre. Le fait de préciser « apparente » impose une logique anthropocentrique, ramenant tout à l’humain. Comme à chaque fois, celui-ci se place au centre du monde. Il est toujours dans sa logique archaïque et moyenâgeuse où tout tourne autour de lui. À quand, le nouveau paradigme Copernicien dans le vocabulaire, d’un soleil qui apparaît et disparaît ? Même si ces deux verbes sont encore imparfaits pour décrire la réalité, ils se rapprochent plus de la nature des faits.
Les grands noms ne donnent pas l’exemple
À la décharge de la logique humaine autocentrée, il convient de souligner que les grands noms de l’histoire n’ont rien fait et ne font toujours rien pour adopter dans leur vocabulaire le paradigme copernicien de l’héliocentrisme.
Il est possible de retrouver dans les maximes et sentences de Tite-Live (59-17 av. J.-C.), historien de la Rome antique, la citation suivante : « Le soleil ne s’est pas encore couché pour la dernière fois. ». Toutefois, dans son cas cela ne pose pas de problème particulier. Le discours est en conformité avec la science du moment, un monde géocentrique. Le citer, ici, est plutôt un point de départ, une référence pour la suite.
L’incohérence apparaît entre autres avec les grands noms qui suivent. En effet, bien que le modèle scientifique ait changé avec les travaux de Copernic, le discours a continué sur la même logique. Depuis Tite-Live, de nombreux auteurs parmi les plus prestigieux parlent de soleil qui se couche, comme Victor Hugo (1802-1885), poète et écrivain français, lorsqu’il écrit dans Les Quatre vents de l’esprit, XIV, I – Jersey, 27 février 1853 : « Le vieillard regardait le soleil qui se couche ; le soleil regardait le vieillard qui se meurt. », ou bien Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), écrivain et aviateur français, qui publie en 1943 un conte philosophique intitulé Le Petit Prince, dans lequel il écrit : « Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois ». Le fait que cela puisse être de la poésie entérine tout de même l’illusion conceptuelle contenue dans les mots.
Le monde de l’art n’est pas en reste. De nombreuses œuvres picturales font référence à un soleil qui se lève ou se couche comme avec Claude Monet (1840-1926), peintre français de l’impressionnisme, qui réalise en 1872 une toile intitulée Impression soleil levant, visible au musée Marmottant Monet, en France, et en 1903, Le Parlement de Londres au soleil couchant, actuellement au National Gallery of Art, Washington, aux États-Unis.
Tout aussi intéressant de retrouver ce vocabulaire impropre dans les dictons français comme celui des Dictons rimés de l’Anjou de 1858 où il est repris « Soleil d’hiver tard levé, bientôt caché et couché. »
Il est tout aussi faux de parler du lever héliaque, consistant à associer une étoile à l’apparition du soleil le matin à l’horizon Est. Les étoiles ne tournent pas plus autour de la Terre que le soleil ne le fait. Quant à la Lune, il s’agit d’un cas particulier puisqu’elle tourne vraiment autour de la Terre.
En géobiologie
Dans le domaine de la géobiologie le soleil ainsi que les étoiles sont des éléments déterminants dans la mise en œuvre et l’utilisation de certains tracés régulateurs, le repérage d’orientations remarquables, etc. La représentation mentale qui est faite des azimuts solaires et stellaires conditionne les effets recherchés.
Un vocabulaire approprié
Afin de pallier à ce conflit cognitif, il est possible, comme précédemment dit, d’utiliser les verbes « apparaître » et « disparaître », mais aussi d’imaginer un néologisme pour remplacer le mot « lever » qui est impropre, puisque non conforme à la réalité des faits. Le mot de substitution est héliophanie, du grec helios, « soleil », et phanein, « apparaître » pour désigner l’apparition du soleil à l’horizon Est. Après recherche d’antériorité, il s’avère que ce mot a déjà été proposé en 1967 par Michel Tournier (1924-2016) philosophe, dans son roman Vendredi ou les limites du Pacifique, publié en 1967.
Il est intéressant de noter que la construction du mot héliophanie fait appel aux mêmes racines grecques à 50 ans d’intervalle, avec toutefois certainement des raisons tout à fait différentes.
En remplacement du mot « coucher », il a été imaginé un autre néologisme qu’est le mot hélioaphanie, reprenant le mot héliophanie et incluant le a, privatif. La traduction littérale de « disparaître » en grec, n’étant pas des plus aisée à utiliser.
Le changement de paradigme s’impose
Le positionnement de l’humain par rapport à son milieu est dépendant de sa représentation du monde et de la finalité des choses. Si, dans certaines considérations il est préférable que l’humain soit au centre des choses, dans ce cas précis, l’humain doit s’extraire de sa place centrale pour observer et décrire le monde de l’extérieur avec un vocabulaire approprié, en conformité avec la réalité astronomique. Cette prise de distance et de hauteur contribue à vivre le monde différemment. Car, parler du monde, c’est penser le monde et penser le monde c’est le vivre, d’où l’importance de la représentation des choses au travers du vocabulaire et du discours qui est tenu.
Pour citer cet article : Olifirenko Bernard, “Si le soleil ne se levait pas le jour de Noël”, site internet http://argemaformation.com/si-le-soleil-ne-…-le-jour-de-noel/, le 21 décembre 2021.