Transmise par les tiques, la maladie est devenue particulièrement insidieuse, mettant en échec tant les méthodes de dépistage que les traitements conventionnels. Comment en sommes-nous arrivés là ? Outre l’analyse de la situation, Lyme nous offre aussi l’opportunité de sortir d’une vision obsolète des maladies infectieuses. Objectif, désormais : apprendre à utiliser l’intelligence coopérative des microbes plutôt que chercher à les éradiquer.
La borréliose de Lyme est appelée la grande imitatrice tant elle reproduit les symptômes de nombreuses maladies différentes, ce qui retarde le diagnostic. Des patients peuvent être soupçonnés de fabuler et orientés vers un psy (lire Maladie de Lyme et troubles neuropsychiatriques), pendant que d’autres sont baladés de spécialiste en spécialiste pour chaque symptôme. C’est la plus grande force de cette maladie : elle ne laisse pas de preuve de ses méfaits. Les examens médicaux sont rarement parlants.
Pour compliquer l’histoire, il se pourrait que ce que l’on appelle « maladie de Lyme » ne soit pas toujours le fait de Borrelia burgdorferi, ni même de bactéries du genre Borrelia. D’autres bactéries de la famille des spirochètes pourraient être impliquées, ce qui expliquerait que les tests puissent être négatifs et les traitements, malgré tout, efficaces…
Ainsi, des micro-organismes peuvent être transmis lors d’une piqûre de tique, dont Bartonella, Rickettsia, Anaplasma, Babesia (parasite responsable de la piroplasmose), Francisella (responsable de la tularémie) et les mycoplasmes. Ils peuvent compliquer la borréliose, mais aussi infecter en l’absence de borréliose… Les symptômes étant similaires, difficile de savoir de quelle maladie de Lyme on souffre exactement.
Comme un agent secret
Borrelia est maître dans l’art de la tromperie. Une fois entrée dans l’organisme, cette bactérie cherche rapidement à se dissimuler, d’où des débuts généralement peu ou pas symptomatiques de la maladie. Sa structure en mèche de perceuse lui permet de traverser tous les tissus humains et de s’installer à peu près où elle veut. C’est aussi l’une des bactéries qui se déplacent le plus rapidement dans le corps. Vous pouvez rester longtemps porteur sain, puis basculer dans la pathologie des années plus tard, lors d’une modification des conditions biologiques.
Douée d’un extraordinaire polymorphisme, Borrelia peut changer de forme lorsqu’elle rencontre une patrouille immunitaire. Elle sait même se débarrasser de son enveloppe protéique externe, ce qui empêche le système immunitaire de l’identifier comme intrus. Pire, elle peut revêtir des protéines de nos propres cellules, conduisant à des réactions auto-immunes, c’est-à-dire que nos défenses peuvent prendre nos cellules pour des ennemis.
Enfin, summum du vice, Borrelia peut infecter les lymphocytes puis les utiliser pour circuler librement sans être inquiétée. En clair, elle vole une voiture de police. C’est une bactérie qui pourrait tout à fait être utilisée dans une guerre bactériologique.
Un biofilm ultrarésistant
Son matériel génétique est distribué dans 27 plasmides – sachant que les bactéries qui en comptent le plus sont aussi les plus capables de résister aux antibiotiques. Une fois qu’elle se considère en terrain conquis, elle s’organise en biofilm, c’est-à-dire en communauté dense, reliée par une matrice de polysaccharides, un peu comme une gigantesque mêlée de rugby.
D’autres microbes, eux aussi potentiellement pathogènes, y participent. À ce stade, les bactéries deviennent inaccessibles au système immunitaire et à tout traitement antibiotique classique. Toutes proportions gardées, la borréliose pourrait être comparée au sida en ce qu’elle s’attaque aux ganglions lymphatiques et bloque la maturation du système immunitaire.
Une chronicité polémique
Deux camps s’opposent violemment à propos de la réalité et de la nature d’un Lyme chronique. Articles de presse, conférences, sites web et pétitions témoignent de la rancœur et de l’incompréhension accumulées de part et d’autre. Les associations de malades se disent peu écoutées, parfois méprisées.
Pour le Pr Christian Perronne, « c’est incompréhensible et inadmissible que des médecins continuent à affirmer que le Lyme chronique n’existe pas, que les tests sérologiques sont fiables et que les malades qui continuent à se plaindre sont des fous. Ils ne lisent pas les publications scientifiques. Lyme n’est ni une maladie bénigne ni une maladie rare. Le gouvernement américain l’a reconnue comme un problème de santé majeure dépassant le sida. Il y a des milliers de malades en grande souffrance, rejetés par le système médical, pendant que les autorités disent que tout va bien. C’est un vrai scandale sanitaire. Quand j’ai voulu réaliser un essai clinique randomisé sur un traitement prolongé de la maladie chronique, on m’a répondu qu’on ne donnait pas de financements pour des maladies imaginaires. » (extrait de La vérité sur la maladie de Lyme, éd. Odile Jacob, 2017).
De son côté, le Pr Yves Hansmann, du Centre national de référence de Strasbourg, plaide l’incompréhension :« On nous prête des pensées qui ne sont pas les nôtres. Il n’y a ni silence des autorités ni scandale sanitaire, simplement une incompréhension. Il est probable que les patients qui ne répondent pas correctement aux traitements aient un diagnostic erroné. Quelqu’un qui n’a pas de diagnostic aura du mal à trouver le bon traitement et à se faire reconnaître par la société comme étant réellement malade. Une forme chronique touche certains patients, mais l’attribuer à la maladie de Lyme n’est pas toujours exact. Il n’y a pas, à ce jour, d’argument pour proposer des traitements antibiotiques prolongés, qui n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation, ni sur leurs bénéfices ni sur leurs risques. Les patients traités au long cours par antibiotiques ne sont pas surveillés. Nous sommes dans une situation proche d’une expérimentation non maîtrisée. » (extrait de La maladie de Lyme, au-delà de la polémique, 2018, éd. Solar).
Il y a bien eu une thèse de doctorat sur la défiance des malades envers le corps médical… Une chose est sûre : la santé a besoin d’intelligence collaborative.
Une maladie des écosystèmes
Nous avons cru qu’avec le progrès des antibiotiques et des vaccins, nous entrerions dans l’ère post-microbienne, claironnant la fin des maladies infectieuses. Sauf que les microbes sont la base de la vie sur une planète que nous ne faisons qu’occuper. Pour faire face à des maladies systémiques comme Lyme, nous devons avoir en tête le fonctionnement des écosystèmes, ce qui reste encore complètement nouveau en médecine.
L’écobiologiste Forest Rohwer a, par exemple, découvert pourquoi et comment les massifs coralliens se meurent dans les océans. Les coraux sont colonisés par des micro-organismes à la base d’une vaste chaîne alimentaire dans laquelle tout le monde se retrouve, coraux inclus. Les pollutions dues à l’activité humaine rompent les partenariats avec les micro-organismes, les coraux sont délaissés et dépérissent. Ils ne sont pas victimes d’une maladie, mais d’un changement de configuration des communautés microbiennes qui leur est défavorable. Les microbes peuvent donc faire la différence entre santé et maladie. Ils sont aussi capables de créer ou de détruire des liens entre les espèces.
Association de malfaiteurs
Une histoire très similaire se déroule dans nos intestins, colonisés par une population microbienne estimée à la hauteur du nombre d’étoiles dans la galaxie. Le bon fonctionnement du système immunitaire dépend d’une entente entre nos cellules et des bactéries bien précises, selon une répartition et des proportions tout aussi précises. Tant que chaque espèce est à sa place et joue son rôle, nous sommes en bonne santé.
Mais un changement brutal des paramètres biologiques et environnementaux (accident, opération chirurgicale, anesthésie, médicament, chimiothérapie, stress psychologique, surexposition – même brève – aux ondes électromagnétiques…) suffit à bousculer ce fragile équilibre, parfois de manière difficilement réversible.
Liens entre écosystèmes microbiens, environnement et alimentation
Récemment, des chercheurs du King’s Collège de Londres ont établi que le métabolome bactérien est finalement beaucoup moins influencé par les facteurs génétiques que par les facteurs environnementaux et l’alimentation. C’est la rupture de la symbiose : les microbes peuvent se réorganiser autrement, sans prendre en compte notre intérêt cette fois-là. Avec les bouleversements que nous infligeons à notre corps et à notre environnement, chaque jour qui passe nous donnons aux microbes de nouvelles raisons de le faire.
L’alimentation occidentale moderne, excessivement riche en sucre, de plus en plus pauvre en nutriments essentiels, bourrée d’additifs et de pesticides, modifie en profondeur notre écosystème microbien et affaiblit considérablement notre immunité. Alors que les levures Candida albicans, connues elles aussi pour leur ténacité, s’organisent avec les borrélies pour créer un biofilm commun, une telle alimentation fournit de l’énergie aux deux espèces.
Des bactéries opportunistes, jadis inoffensives, deviennent virulentes parce que nous leur offrons l’espace et les conditions de leur développement. Les personnes les plus sérieusement touchées par Lyme ont la plupart du temps un microbiote très perturbé. La bactérie Borrelia, toute polymorphe qu’elle soit, ne saurait être aussi nuisible sans nouer des ententes solides avec d’autres microbes.
Autres vecteurs de Lyme identifiés et endroits risqués
Les tiques ne sont pas les seuls vecteurs. Il faut également compter avec les puces, les taons, les mouches piqueuses et certaines espèces de poux, de moustiques et d’araignées. Par ailleurs, les prédateurs des tiques ont considérablement diminué ces dernières années, notamment à cause des pesticides. Les oiseaux pique-bœufs, gros consommateurs de tiques, se raréfient, tout comme les grenouilles et les crapauds dans les marécages.
Ces écosystèmes ont été excessivement modifiés par la main de l’homme. Ce qui explique aussi que l’on ne risque pas la même chose partout : la densité des tiques varie selon la végétation, l’humidité, les saisons, la diversité des hôtes et des prédateurs. En France, plusieurs espèces sont présentes, mais seule Ixodes ricinustransmet la borréliose. Selon une cartographie dressée entre 2013 et 2016, la densité variait entre 4 et 143 nymphes par 100 m2. En moyenne, 13,7 % des tiques seraient contaminées par Borrelia burgdorferi.
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