La vie secrète des arbres Peter Wohlleben

la vie secrète des arbres

Les ARBRES ces êtres sociaux…

On regardera la canopée d’un autre œil grâce à   » la vie secrète des arbres » ( Les Arènes), le best-seller de Peter Wohlleben, un forestier allemand, gros succès en France.

Figés, impassibles, immuables ? Non, les arbres ont une vie méconnue dont la science découvre peu à peu l’étendue et la complexité. Peter Wohlleben, 52 ans, nous le prouve avec un récit érudit et captivant, qui s’appuie sur des études publiées dans les revues scientifiques les plus sérieuse. Ce forestier Allemand qui , dans son pays, travaille à la tête d’une forêt gérée de manière non productive, murmure à l’oreille des hêtres ( entre autres) depuis vingt ans … et inversement. Et c’est fou tout ce que résineux et feuillus ont pu lui confier ! Il effeuille ainsi avec pédagogie et humour l’intimité sylvestre, et nous fait découvrir à quel point ces végétaux ont un comportement social et pourraient nous donner des leçons en matière de fraternité et de partage ! Alors, levons le nez et redécouvrons les arbres, ces êtres sociaux aux super pouvoirs, qui n’ont pas fini de nous surprendre.

Ils possèdent leur réseau internet !

Ils fabriquent leur insecticides

Ils ont la solidarité chevillée au tronc

Ils tombent amoureux

Ils ont une mémoire

Ils couvent leurs enfants

Ils hibernent comme les ours

Ils ont des personnalités différentes

Ils dorment la nuit

Ils ont besoin d’une famille

 

peter WohllebenEnfant, Peter Wohlleben  voulait protéger la nature. Devenu forestier, il s’est mis à martyriser les arbres, appliquant les consignes de son employeur, l’administration forestière d’Etat allemande. La forêt qu’il exploitait n’était qu’une source de matière première pour les scieries. Il en savait «autant sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux», se souvient-il. Les visiteurs de sa forêt, située sur la commune de Hümmel, au sud de Bonn, ont tout changé. Leur émerveillement a réveillé sa passion et remis en cause sa façon de travailler.

Depuis vingt ans, il chouchoute ses hêtres et découvre sans cesse leurs innombrables capacités. Ce grand gaillard de 52 ans, placide et souriant, est un érudit.

Quelles facultés des arbres vous fascinent le plus ?

Il y en a tant ! On sait qu’ils sont connectés les uns aux autres via les racines et nourrissent ainsi les plus faibles. Une étude de l’université de Vancouver a même montré qu’une «mère-arbre» peut détecter ses jeunes plants avec ses racines. On a mesuré qu’elle soutient davantage ces derniers. Les arbres décident bel et bien avec qui ils se connectent. Et ils ont une mémoire. En cas de sécheresse, le bois se déshydrate, se fissure. L’arbre blessé s’en souvient toute sa vie et change de stratégie dès le printemps suivant en réduisant sa consommation d’eau. Les vieux seraient même capables de partager cette information avec les plus jeunes, de les «éduquer».

Ils savent communiquer ?

Oui, ils peuvent avertir leurs congénères d’une attaque d’insectes, appeler à la rescousse les prédateurs des parasites. Les ormes se débarrassent des chenilles en émettant des substances attirant des petites guêpes qui pondent dans celles-ci. Les arbres sont capables d’identifier la salive des chenilles en la distinguant de celle d’un cervidé et ainsi adopter la stratégie de défense adaptée. Si c’est une biche qui les croque, ils envoient dans leurs rameaux des substances toxiques ou amères. Ce qui prouve qu’ils ont le sens du goût. Ils peuvent aussi «voir» la longueur des jours, «sentir» des messages olfactifs ou la température de l’air. Ils sont peut-être même dotés de l’ouïe : il a été prouvé que les racines de céréales émettent un son et que celles des plantes alentour se dirigent alors dans cette direction.

Ces découvertes sont-elles récentes ?

Pas du tout ! Les scientifiques savent depuis les années 70 que les arbres communiquent, et depuis une vingtaine d’années qu’ils s’appuient aussi pour cela sur «l’Internet des champignons», un vaste réseau de filaments enfouis dans le sol. Simplement, le grand public ne le sait pas : le langage scientifique est trop pointu et chaque chercheur étudie une pièce du puzzle. Dans mon livre, j’ai tenté de reconstituer celui-ci, même s’il manque beaucoup de pièces, de donner une vision d’ensemble. C’est alors seulement qu’on peut appréhender tout ce que les arbres peuvent faire, s’étonner, s’émerveiller, les respecter et en retirer de la joie.

Quelles sont les pièces manquantes qui vous intéressent ?

En premier lieu, où les arbres stockent-ils leur mémoire ? Ils n’ont pas de cerveau tel que le nôtre. Mais nous savons qu’ils stockent les connaissances acquises. Par exemple, ils comptent les journées chaudes au printemps pour éviter de fleurir trop tôt. Ils savent que trois jours chauds ne suffisent pas, qu’il faut encore attendre. Sans mémoire, chaque jour serait compté comme étant le premier. Ensuite, j’aimerais savoir s’ils communiquent sur d’autres sujets que les dangers détectés. Je rêve d’un dictionnaire chimique permettant d’analyser leurs messages olfactifs. Peut-être parlent-ils de la météo, de ce qu’ils ressentent. Notre nez peut déjà déceler certains signaux. Une odeur aromatique, l’été, dans les forêts de conifères signifie qu’ils s’avertissent : il fait trop sec, trop chaud, des insectes attaquent… Ces forêts sont le plus souvent plantées, donc vulnérables. Malgré la senteur agréable et même si nous n’en avons pas conscience, notre corps perçoit l’appel à l’aide. Des recherches ont montré que notre pression artérielle augmente dans ce type de forêts et baisse dans celles de feuillus intacts, qui échangent sans doute des signaux de bien-être. Nombre de visiteurs de notre réserve de hêtres me disent qu’ils s’y sentent chez eux, dans leur élément.

Les arbres d’une même espèce sont-ils vraiment toujours solidaires ?

Oui, toujours, sans condition. Pas les espèces solitaires comme le saule ou le peuplier, mais celles vivant dans les forêts primaires. Ce sont des êtres sociaux, dont le bien-être dépend de la communauté. Les plus faibles sont soutenus car tous y perdent s’ils disparaissent : une forêt dense garantit le microclimat humide et frais qui leur convient. Si les arbres pouvaient voter, pas un seul ne voterait à droite ! (Rires).

Qu’avons-nous à (ré)apprendre de ces gauchistes ?

La solidarité, mais aussi la lenteur. Plus la croissance des jeunes est lente, plus ils ont de chances de vivre longtemps, jusqu’à des milliers d’années. Nous savons que le surmenage réduit notre espérance de vie, que ralentir est meilleur pour notre santé.

Que répondez-vous à ceux qui critiquent votre anthropomorphisme ?

(Rires). Quand j’ai commencé à animer des visites guidées, j’abordais des notions trop ardues, je décrivais les arbres sans langage imagé, les gens s’ennuyaient. J’ai appris à parler de façon compréhensible, en faisant appel aux émotions. Et on ne peut comparer qu’avec ce qu’on connaît. Quand je dis qu’une mère-arbre allaite ses plantules grâce à la connexion de leurs racines, chacun comprend.

Vous plaidez pour le minimum d’intervention humaine dans les forêts…

Moins on intervient, plus une forêt est équilibrée, saine, résistante aux maladies ou aux tempêtes. Protéger une forêt ne nous fait pas perdre en qualité de vie, au contraire. Seule l’industrie du bois y perd. L’idée n’est pas de les protéger toutes – nous en sommes d’ailleurs très loin : en Allemagne, à peine 1,9 % des forêts le sont. Car nous aurons toujours besoin de bois, ne serait-ce que pour produire du papier. Mais nous pouvons changer nos pratiques. Une forêt exploitée subit toujours des dommages, mais on peut les minimiser. Pour sortir les troncs, mieux vaut des chevaux de trait que des engins qui tassent le sol. Quand ce dernier est détruit, il l’est pour toujours et ne peut plus stocker assez d’eau. Il faut aussi bannir les pesticides, car un écosystème est comme une horloge : si vous en détruisez un rouage, il ne fonctionne plus. Or c’est ce que font les produits chimiques.

Vous faites du tort à l’industrie des pesticides, très puissante en Allemagne !

(Rires). Certes, mais une forêt gérée de manière écologique crée bien plus d’emplois que les autres. Dans notre village de 470 habitants, avant de changer de méthode, la forêt engendrait un emploi, celui du forestier. Contre sept aujourd’hui. Les salariés de l’industrie chimique pourraient donc se reconvertir ! L’écoforesterie permet également de gagner plus d’argent. Car plus une forêt est saine, plus elle produit de bois, et de plus grande valeur. Notre municipalité perdait 75 000 euros par an, elle en gagne désormais 300 000 à 500 000.

Les monocultures restent la norme…

Le temps des humains ne correspond pas à celui des arbres. On veut des résultats rapides, d’où toutes ces plantations où les arbres grandissent vite mais sont fragiles. Restaurer une forêt primaire prend cinq cents ans. Cela paraît énorme, mais c’est la longévité normale d’un arbre. Or, quand vous laissez les forêts vieillir, elles régulent le climat. Leur microclimat local, mais aussi le climat mondial, en absorbant beaucoup de CO2. Des recherches ont été faites sur des forêts de hêtres. Les chaudes journées d’été, celles laissées intactes sont plus fraîches de 3,5°C en moyenne que celles exploitées. Les forêts peuvent nous aider à lutter contre le changement climatique, à condition que nous leur permettions de faire leur job.

Résisteront-elles à l’ampleur du bouleversement ?

Si la température du globe grimpe de 5 ou 6 °C d’ici à 2100, je ne sais pas. Mais il est encore possible de les préserver au maximum pour qu’elles puissent jouer leur rôle, donc la situation n’est pas désespérée. Je n’ai pas remarqué jusqu’ici d’impact du changement climatique sur mes arbres. Mais dans les forêts exploitées, les plus vieux meurent à partir de leur cime. Le forestier dit : «Ah, c’est le climat.» Je dirais : «Non, c’est la foresterie !»

Votre livre évoque le triste sort des arbres des villes…

Dans la nature, la chance qu’a une graine de devenir un vieil arbre est d’une sur 2 millions, parfois d’une sur un milliard. Mieux vaut donc grandir en ville qu’être l’un de ces perdants ! Mais c’est dur, c’est comme vivre dans un zoo. Ces arbres ne sont pas là pour eux, mais pour nous apporter un peu de nature. Il faut l’accepter. En essayant de minimiser leurs souffrances. Cesser de transplanter de grands arbres dont on ampute les racines, préférer des espèces solitaires (bouleau, cerisier…) ou faire en sorte que les autres vivent en groupe, et éviter d’éclairer les rues toute la nuit. Car les arbres ont besoin de dormir, comme nous.

Coralie Schaub Libération