Covid-19: l’étincelle du changement?

 

L’auteur écrit un article sur sa vision de la situation actuelle en Belgique en particulier concernant le système politico-administratif.

Nous sommes confrontés à une crise sanitaire et économique majeure, mais surtout à une crise politique. Nos institutions publiques vacillent. Nos dirigeants semblent incapables de s’entendre sur une vision partagée et par conséquent, de prendre des décisions cohérentes, dans l’intérêt de tous. Ils sont enfermés dans des modèles mentaux qui ont fait leur temps, ne parvenant pas à comprendre la réalité complexe et à agir en conséquence. La crise du Covid-19 sera-t-elle le déclencheur d’un changement profond de notre société?

De nombreuses voix de citoyens s’élèvent ces derniers temps afin de critiquer la politique de nos gouvernements. Il est facile de blâmer, surtout derrière un ordinateur, mais nous devons aussi nous remettre en question. L’homopoliticus, c’est bien connu, est un adepte du non-dit et de la langue de bois. Il utilise diverses formes de slogans qui peuvent se résumer ainsi: « Si la société va si mal, je n’y suis pour rien c’est à cause: des financiers, des patrons, des fiscalistes, des rentiers, des profiteurs, des pollueurs, des étrangers, des musulmans, des wallons, … » et donc …de à peu près tout le monde. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » disait Jésus. En effet, qui n’a jamais menti? Le travail au noir n’est-il pas devenu une institution? Ne dit-on pas qu’une faute avouée est à moitié pardonnée, alors pourquoi donc mentir, soyons humble, reconnaissons nos erreurs. La moindre des choses est de s’excuser. Les personnes intelligentes savent que le plus important n’est pas l’erreur en elle-même mais ce que l’on en tire afin d’éviter qu’elle ne se reproduise. Une erreur n’en est plus une lorsqu’elle se multiplie, elle devient une faute.

L’économiste Charles Gave dans une interview en 2018 stigmatisait le manque de caractère des élites françaises. La France, disait-il, fait deux graves erreurs, la première c’est de croire que « ceux qui ont fait les meilleures études sont les plus intelligents », la deuxième est « de penser que parce que vous avez fait les meilleures études, vous êtes le plus à même de prendre les bonnes décisions ». Le cursus scolaire, même s’il est important pour diverses raisons, risque aussi d’enfermer l’individu dans le conformisme du système éducatif. En effet, le monde de l’emploi ne cherche pas des révolutionnaires mais des personnes capables de réaliser les tâches qui leurs sont confiées. Chacun doit rester à sa place. Gaston Bachelard écrivait dans la formation de la pensée scientifique la chose suivante: « La pensée scientifique moderne réclame qu’on résiste à la première réflexion. C’est donc tout l’usage du cerveau qui est mis en question », il faut donc penser autrement « penser contre le cerveau » voilà donc le signe de l’intelligence.

Dans le monde politique d’aujourd’hui, même si les têtes changent, les bonnes vieilles idéologies ainsi que les bons vieux clichés perdurent. Les débats sont souvent communautaires ou une opposition idéologique entre socialisme et capitalisme. Il faut dire que la recette fonctionne toujours auprès du grand public. Le système démocratique à la belge est ainsi fait. L’Etat est le résultat de jeux politiques pour s’accaparer le pouvoir. Quelle que soit la coalition, les intérêts particuliers priment sur le devoir d’impartialité et la préservation du bien commun. Les négociations politiques engendrent des compromis qui sont en réalité de mauvaises solutions car ne satisfaisant personne, chacun devant faire des concessions. Un exemple flagrant est la fermeture des écoles le 16 mars mais pas des crèches, à croire que nos bambins ne peuvent être, par miracle, des vecteurs du virus. Le système politique, riche d’un grand nombre de mandataires, est incapable de se renouveler. Au niveau fédéral, nos responsables passent plus de temps à négocier et à s’invectiver dans les médias qu’à gouverner. Alors que les défis sont immenses, ils tournent en rond comme des chiens qui se mordent la queue. Bien que l’OMS eût déjà évalué la menace depuis des années, l’arrivée du covid-19 prend apparemment tout le monde de cours. Il va rapidement déstabiliser et faire ressurgir les défaillances, en voici deux exemples.

 Bas les masques!

L’absence de réserve stratégique pour les masques de protection a eu des conséquences dramatiques que l’on sait. Dans les médias, cette faute fut imputée principalement au fédéral et étonnamment rien sur la responsabilité des régions. Pourtant, depuis 2019 et la 6e réforme de l’Etat, les compétences liées aux soins aux personnes âgées relèvent dorénavant entièrement des entités fédérées. Par conséquent, il me semble que si la réserve stratégique était de la responsabilité du fédéral, les régions devaient soit en constituer une, soit superviser celle du fédéral. Bien entendu, il est plus facile de jeter la faute à autrui (principe rhétorique du politicien: « ce n’est jamais moi »). Alors que l’Etat Luxembourgeois offre depuis le mois d’avril des masques à ses ressortissants et à ses travailleurs étrangers, en Belgique c’est toujours l’imbroglio. Au départ, nos gouvernements ont préféré attendre et laisser faire le marché, apparemment un bandana suffit, pour ensuite se raviser. Cette situation me laisse perplexe. L’Etat fédéral n’a pas d’argent nous dit-on et en appel à la gratuité des couturières et aux communes. Pourtant, il est prêt à investir plusieurs millions d’euros dans un compagnie aérienne dont l’actionnaire principale est étranger. Paradoxalement, les multinationales profitent de cette crise en pratiquant du socialisme. En soulevant le spectre de la perte d’emplois, elles exigent auprès des autorités publiques, une mutualisation de leurs coûts. Elles pourront ainsi se débarrasser à bon prix d’activités peu rentables mais bien entendu, éviterons de partager trop leurs bénéfices.

Par ailleurs, les gouvernements ayant mandaté des entreprises locales pour la production de masques, le but n’est pas de les court-circuiter. Une usine de fabrication de masques sera prête si tout va bien, début juin. D’ici là, il faudra attendre et tant pis pour les malades ou le personnel soignant. Les affaires passent avant tout. En effet, quelques vieux séniles en moins et une production industrielle qui redémarre, cela ne peut faire que du bien à l’économie. Certains responsables politiques parlent déjà d’accident de parcours et qu’ils feront mieux la prochaine fois. Mais peut-on encore leur faire confiance?

 Pour un enseignement d’excellence, il faut aussi un gouvernement excellent!

Concernant la continuité pédagogique dans l’enseignement obligatoire, la ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles a choisi la facilité en pratiquant le laisser-faire. A charge donc aux différents Pouvoirs Organisateurs de réaliser ce qu’ils jugent nécessaire pour le bien des enseignants et des élèves. En Belgique francophone, il existe cinq fédérations de Pouvoirs Organisateurs différentes, chacune développant ses propres programmes d’études sur base d’un même référentiel. Dans cette situation particulière, une mise en commun des ressources aurait été salutaire. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Jusqu’à présent, aucun plan de continuité pédagogique concret et cohérent n’a été développé afin d’assurer un niveau acceptable à chaque étudiant d’ici la fin de l’année. Depuis le 16 mars, les écoliers sont donc en remédiassions et les enseignants en total autonomie. La raison invoquée est de ne pas défavoriser les élèves déjà en difficulté. Ces mêmes élèves, qui auraient bien besoin d’un suivi personnalisé, n’ont cependant aucune obligation de se présenter à l’école. La directive de la FWB stipulant que « le redoublement doit être exceptionnelle » (au vu du vide juridique), un recours pourrait leur permettre de passer de niveau sans même devoir réussir. Les enseignants quant à eux, ont dû s’adapter en utilisant des outils digitaux dont ils n’avaient auparavant pas forcément l’habitude et bien souvent, en utilisant leur propre moyen. Le Ministre Jeholet a déclaré lors d’une récente interview qu’il comptait lancer prochainement un groupe de travail sur « l’école numérique », heureusement que la majorité des enseignants ne l’ont pas attendu. Cette situation exceptionnelle aurait pu être une opportunité afin de renforcer l’apprentissage de manière autonome, faire de l’accompagnement individualisé pour les élèves en difficulté, ainsi qu’harmoniser quelques peu les pratiques. Il n’en fut rien. Des disparités sont toujours constatées entre les différentes écoles, certains professeurs utilisant des outils numériques, d’autres non, certains donnant plus de travail ou réalisant plus de suivi que d’autres. Pourtant, le pacte d’excellence n’avait-il pas comme objectifs « l’amélioration significative des savoirs et compétences des élèves et l’amélioration significative de l’équité »? Ou peut-être, suis-je trop naïf?

 Enfin et surtout

Cette crise nous rappelle notre extrême fragilité malgré notre sentiment de domination. Même si nous souhaitons tout maîtriser, tout prévoir car nous n’aimons pas l’incertitude, elle nous remémore que la nature ne nous appartient pas, bien au contraire, nous sommes reliés à elle, au lieu d’en être dissocié. Elle nous rappelle également que malgré l’idéologie dominante d’une croissance industrielle infinie, la vie est cyclique. Nous vivons au rythme des saisons. Toute chose a un début et une fin, c’est le principe d’évolution cher à Darwin. Lorsque la Banque Centrale Européenne injecte des milliards d’euros de liquidité évitant la faillite de nombreuses entreprises, cela sauve des emplois à court terme, mais elle empêche aussi d’autres organisations de naître sur des modèles plus innovants. Le système qui devait évoluer afin de mieux répondre aux contraintes de son environnement se retrouve figé, en déséquilibre vis-à-vis de celui-ci.

Selon Robert Ulanowicz, pour qu’un écosystème soit durable, il doit être à la fois résilient c’est-à-dire, capable de s’adapter aux contraintes de son environnement mais aussi efficient à savoir, susceptible d’optimiser les moyens disponibles. Le savant équilibre entre ces deux paramètres va garantir sa pérennité. Si l’on fait une analogie avec le système politico-administratif belge, nous avons vu qu’il manquait de résilience. Mais, nous ne pouvons pas dire non plus qu’il est efficient car le déficit public reste un problème majeur. Il ne doit sa survie qu’à la politique monétaire accommodante de la Banque Centrale Européenne et à des emprunts à taux réduit. Alors que faire?

Nous pourrions faire comme d’habitude, appliquer les mêmes recettes mais plus intensément : pousser à la consommation, rogner sur l’épargne, instaurer de nouvelles taxes (du type taxe carbone par exemple), s’endetter plus, lutter davantage contre la fraude ou l’évasion fiscale et mettre en place quelques procédures en cas de prochaines pandémies. Cependant, nous pourrions aussi faire quelque chose de différent, emprunter une autre voie, celle du changement structurel qui va bien au-delà du clivage politique gauche-droite. Ce chemin innovant qui retient déjà l’attention de nombreux citoyens ne pourra s’établir sans la prise de conscience de chacun. En effet, la société actuelle n’est que le reflet de nous-même. Nous avons la chance de vivre dans une des régions les plus riche et les plus sûre du monde, adaptable à nos besoins. En d’autres mots, si nous gaspillons beaucoup, si nous sommes incapables de changer c’est parce que nous vivons trop bien en Belgique.

Si la voie du changement est choisie, elle ne pourra se faire qu’avec une approche globale, systémique du problème en tenant compte des aspects sociaux, environnementaux et économiques de manière indissociable. Elle nécessitera une réflexion profonde sur les principes fondamentaux qui régissent notre société (ses finalités) avant d’agir, afin d’éviter des réglementations dans l’urgence qui seraient au final préjudiciables. De manière à améliorer la durabilité, notre système politico-administratif devra se réinventer, être plus ouvert, plus proche du citoyen et de ses attentes, fini donc les structures rigides, bureaucratiques, place à des organisations flexibles, apprenantes, efficientes. Le citoyen pourrait par exemple questionner le responsable politique sur ses choix via des instances dont les élus seraient tirés au sort. Ces instances contrôleraient le budget des parlements, la dette et fixeraient les grandes orientations. Inversement, le politique organiserait davantage de consultations populaires et de référendums afin de mieux appréhender l’opinion public.

Concernant les aspects sociétaux et en finir avec l’endettement, je me rangerais derrière la théorie monétaire de l’économiste Bernard Lietaer, partisan d’une écologie des monnaies complémentaires. En effet, l’euro n’est pas la seule alternative pour échanger des biens et des services, surtout qu’il favorise la crispation entre les Etats membres plutôt que la coopération. Des solutions crédibles existent dans le but de résoudre certains problèmes, comme le vieillissement de la population (Fureai Kippu au Japon), le financement des entreprises (système C3 en Uruguay, WIR en Suisse), favoriser l’économie local (SEL), voir même pour réduire l’impact carbone (compte CO2 en France). Elles ne sont malheureusement que trop peu communiquées dans les médias car remettant en question le pouvoir financier. Par ailleurs, la concentration des richesses dans les mains d’un petit nombre crée des déséquilibres et donc des crises car elle empêche l’argent de circuler là où il est nécessaire. Par conséquent, le système ne peut s’autogérer. Une diversité monétaire rend le système moins efficace mais plus durable comme la permaculture vis-à-vis d’une monoculture.

Toutes ces vérités pourraient peut-être vous paraître ridicules, voir dangereuses ou évidentes, ce qui est tout à fait normal puisque comme le disait Arthur Schopenhauer ce sont les trois phases d’une révolution. Je terminerai enfin par deux citations d’un éminent scientifique et philosophe du 20e siècle, Albert Einstein: « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue. » et « La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent. ». A méditer.

 

Sébastien De Boel  le 18 juin 2020

« J’ai écris un article sur ma vision de la situation actuelle en Belgique en particulier concernant notre système politico-administratif. N’ayant pas reçu de réponses positives concernant une éventuelle publication dans un des médias traditionnels … »