Les fêtes de famille approchent. Mais lorsqu’un secret pèse sur les relations , comment communiquer malgré les non-dits ?
A partir de quels événements un secret de famille se construit-il le plus souvent ? Caroline Gouilloud
Serge Tisseron. Le plus souvent, les secrets sont construits autour de naissance ou de mort vécues comme problématiques. La personne concernée par une situation peut refuser d’en parler, soit parce qu’elle craint de tomber sous le coup de la loi, soit parce qu’elle en a honte, soit parce qu’elle redoute de malmenre son entouragen soit un peu tout cela. Mais parfois ce n’est pas qu’elle ne peut pas. Les sensations et les émotions qui ont accompagné l’événement sont encore tellement présentes qu’elle a peur de les réactiver en évoquant ce qu’elle a vécu et d’en souffrir à nouveau. Ces situations peuvent être individuelles, comme un avortement, un deuil, un harcélement, … qui ont toujours aussi une porte d’entrée collective. Par exemple, si, dans un pays, l’avortement est condamné par la loi, la pratiquer est beaucoup traumatisant que si la société le prend en charge et qu’il est possible d’en parler. Heureusement, il existe aujourd’hui sue le net des espaces dans lesquelles des personnes ayant subi des traumatismes semblables peuvent s’aider mutuellemnt pour en parler.
Suffit-il de déverrouiller le secret pour faire disparaitre le sentiment d’origine ?
Serge Tisseron. Non, car ces événements mobilisent des sentiments complexes dont certains peuvent rester cachés longtemps. La honte, mais aussi la culpabilité, la colère, l’angoisse, l’amertume et, bien entendu, la rage. Celui qui a vécu des émotions extrêmes, et qui ne les accepte pas en lui, court le risque de les infliger, parfois sans même s’en rendre compte, à ses proches et notamment à ses enfants. Or, celui qui accepte de se mettre à l’écoute de ses souffrances intimes protège ses descendants du risque de les malmener inutilement.
Dans une famille, comment cela va-t-il se transmettre ?
Serge TISSERON. Par les gestes, les mimiques, les silences incompréhensibles à l’enfant. Par exemple, si un parent quitte la pièce sans explication chaque fois qu’une situation est abordée, ou qu’il pleure sans dire pouquoi quand on lui pose certaines questions. C’est ce que j’ai appeler les « suintements » des secrets. L’enfant essaye alors d’imaginer ce qui est arrivé à son parent pour qu’il réagisse ainsi. Généralement, l’expication qu’il trouve est fantaisiste, mais le problème, c’est que très souvent, elle est pire que la réalité et qu’il se construit avec cette conviction : » Mon père, ou mamère, a fait quelque chose d’affreux », alors que cela peut ne pas être le cas.
Comment un secret peut-il influencer notre rapport à la vérité, par exemple ?
Serge TISSERON. Quand un enfant a l’impression que l’un de ses parents est porteur d’un secret douloureux, il évite de lui poser des questions qui pourraient le fâcher et l’attrister. Et comme il ne sait pas quelle question éviter, il s’empêche souvnt d’en poser, même les plus banales. Il se coupe alors en deux tout comme son parent, qui est à la fois désireux de parler de son secret et dans la crainte de le faire. Parallèlement, l’enfant intériorise l’idée que puisque ses parents lui cachent des secrets. L’enfant grandit dans une famille à secrets devient donc souvent cachottier, voire sounois, et il le reste. Cela ne constitue par forcémént un handicap pour sa vie professionnelle, car il existe des activités dans les quels ces caractéristiques sont valorisées. Mais souvent son entourage en souffre.
Comment percevoir les effets du non-dit sur soi et s’en libérer ?
Serge TISSERON. Il y a des idées bizarres, les rêves étranges, les choses que nous pouvons faire ou dire et qui nous semblent étrangers à notre personnalité. Il arrive que nos proches nous parlent de nous dans des termes où nous ne nous recnnaissons pas. Plutôt que de nous énerver et de dire » vous ne me comprenez pas », réfléchissons. Plus la différence entre ce que nous avons l’impression d’être et ce que nous renvoie notre entourage est grande, plus il y a des chances pour que nous soyons porteurs, à notre insu, de « corps étrangers intrapsychiques » ( colère, rage, tristesse, honte …) hérités des générations précédentes. Nous croyons par exemple qu’il est » dans notre nature » d’être triste ou de nous mettre en colère facilement, alors que nous ne faisons que tenter de donner vie, à travers ces comportements, à un proche disparu, parce que nous n’acceptons pas de l’avoir perdu.
Caroline Gouilloud PRIMA décembre 2019
A LIRE
Dans cette ouvrage, l’auteur nous guide dans le monde des secrets de sa propre famille, de leur impact sur sa construction individuelle. A lire absolument. Mort de honte, de Serge Tisseron, aux éditions Albin Michel
Résumé :
Pour sortir de la honte, il faut accepter d’en passer par la rage. Sans elle, impossible de se reconstruire. Tel est le sens de ce récit autobiographique dans lequel Serge Tisseron évoque les hontes qui ont marqué son histoire : celle de ses origines sociales, d’une maladie vécue comme stigmatisante, d’un père écrasé par la faillite familiale. Car longtemps il a vécu avec ce sentiment sans en comprendre les causes réelles. Jusqu’à ce jour récent où, retrouvant une BD qu’il avait créée dans sa jeunesse, un secret enfoui se révèle à lui et lui donne la clé du mystère qui a nourri tout son travail. Le dessin l’a enfin sauvé de la honte. Dans la veine de Comment Hitchcock m’a guéri, ce récit-confidence dévoile la source inattendue des écrits de Serge Tisseron.
Serge TISSERON Psychiatre, psychanalyste et directeur de recherche, il est le spécialiste des secrets de famille deouis qu’il a révélé celui de Hergé ( Tintin et les secrets de famille, Ed Aubier 1985) Connu aussi pour son travail sur les images et leur impact sur les enfants, il a imaginé les rerepères